La peur ou la mauvaise conseillère en transmission…


C'est la rentrée, nos fiches séances, nos programmations, nos progressions, nos PPRE, APC et autres sigles d'origines contrôlées sont préparés, détaillés… prêts à être remis en cause dès les premières minutes de transmission…

C'est la rentrée, nous invitons en même temps que nous pédalons, nos enfants à rejoindre les selles de l'instruction…

C'est la rentrée, pourquoi inventer, créer des apprentissages déjà explicités par des experts en éducation…

Sur ces belles rimes en « ion », fin de la récréation, place aux crayons et aux émotions. …


Les élèves au cycle 4 seront capables de "Se chercher, se construire". 

Beau programme !

« L'expression « Se chercher, se construire » propose un couple dynamique, témoin d'une tension ontologique propre à chaque individu et sans doute exacerbée à l'adolescence, âge où les possibles s'esquissent tandis que les premiers choix font naître la crainte d'un avenir dilué dans les sables ou à l'inverse pétrifié. Les deux verbes à l'infinitif placés en miroir au sein du libellé de l'entrée induisent un geste différent voire antithétique sur le monde, qui se double, en raison de la forme pronominale, d'une perspective d'examen de soi, de retour sur son être propre, d'action même portée sur sa personne. La dynamique de l'entrée réside aussi dans cette logique évolutive de la perception de soi ; la forme pronominale réfléchie des deux verbes signale à cet égard le déplacement qui s'opère entre le sujet percevant et l'objet perçu, déplacement que l'on peut lire comme l'expression d'une volonté, d'un effort, d'un désir à l'œuvre. Dans l'écriture mobile et paradoxale de la perception de soi que soulève l'entrée « Se chercher, se construire », c'est donc une syntaxe du sensible qui s'exprime, dont il faudra interroger les représentations, les pouvoirs et les limites… » 

Vous venez de lire un extrait des documents d'accompagnement des programmes du cycle 4 (de la 5ème à la 3ème). On remarquera la qualité de l’écriture : profonde et ciselée voire poétique. On gardera l’idée qu’une découverte de soi, une compréhension de son fonctionnement semble essentielle pour garantir les principes de transmission. On prendra en compte, qu'au-delà d'une « syntaxe du sensible », on tentera de comprendre comment accompagner les enfants et les jeunes au sein d'un dialogue pédagogique, axé sur le sensible afin de garantir une meilleure réussite. 

On soulignera que l'enfant, l'adolescent face à son futur est amené à faire des choix. Comment les craintes inhérentes aux choix placent les jeunes dans des situations intérieures qui pourraient les «pétrifier »?

En 5eme « le voyage et l'aventure : Pourquoi aller vers l'inconnu ? » s'inscrit dans cette dynamique : se chercher, se découvrir...

A travers les instructions nous comprenons que le récit de voyage serait aux confins de plusieurs genres. Se rapprochant du récit d'aventure, il aborde aussi le thème de la découverte de l'autre : apprendre à découvrir l'autre c'est aussi apprendre à se connaître. Le jeune adolescent est invité à réfléchir à la thématique identité / altérité.

En cycle 3, les élèves de CM seront capables de découvrir des œuvres relatives au récit d'aventure, l’élève découvrira à travers des œuvres de référence que les voyages sont toujours semés d'embûches. Dans les histoires, les actions s'enchaînent rapidement. Les héros (ou héroïnes) doivent alors affronter diverses péripéties et parfois même traverser des situations dangereuses. Heureusement, diverses rencontres et situations vont les aider à surmonter leurs difficultés…


Nous voilà rassurés, notre voyage semble en lien avec les programmes… tellement en lien que nous allons nous prêter à un petit jeu d’écriture… Nous prendrons comme déroulement de notre réflexion, les questions des instructions officielles de l'Education Nationale… dans l'espoir de se les approprier… 


" Dans le voyage, la découverte de l'autre signifie-t-elle l'affirmation de soi ou la volonté, voire l’obligation, du changement de soi ? 

Que gagnons nous dans les épreuves de l'aventure ?

L'aventure permet-elle d’accéder aux secrets de l'univers qu'ils soient sombres ou lumineux ? 

L'aventure nous permet-elle de renouer avec l'utopie humaine ?

Comment le voyage est il à la fois une quête personnelle, du domaine de l’imaginaire, et collective, du domaine du savoir ? 

Pourquoi le voyage et l’aventure, nous transforment-ils ?

L'aventure est elle un mythe, une fuite, ou le rêve d'un monde meilleur ?

Partir ? Revenir ? Que quitte-t-on ? Que retrouve-t-on, grâce au voyage et à l'aventure ?

Peut on discerner une géographie intime de l'aventure ?

Comment la quête de l'inconnu amène-t-elle à se découvrir soi même ? 

Faut il accepter de se perdre dans le voyage pour goûter à L'aventure ?

En quoi les territoires de l'inconnu sont ils les empires de l'imagination ? "


« Se connaître se chercher » au sein d'un espace plus ou moins lointain et plus ou moins inconnu, convoque par voie de conséquence notre relation avec le sensible, l'intime, l'intériorité, les pensées, l'esprit, les émotions….

L'une d'elles, archaïque, assure notre survie. On la connait bien, tellement bien qu'elle s’est logée dans nos implicites, nos inconscients et peut être aussi une cause de souffrance, de mal être :

il s'agit de la peur.


Comment le voyage, l'aventure, aller vers l'inconnu mettent ils en exergue cette émotion ?

Comment les peurs que nous projetons dans notre esprit peuvent elles nous empêcher de vivre sereinement ?

Comment la compréhension de la peur et la compréhension des causes de la peur peuvent-elles nous aider à gagner en sérénité, en confiance, en estime ?

Pourquoi la découverte de soi même est-elle la découverte en autre de ses propres peurs ?

Pourquoi « se chercher et se construire » passent nécessairement par la compréhension de ses propres peurs ?

Pourquoi les peurs sont-elles le principal obstacle à toute transmission ?

Comment aider les enfants et les adolescents à comprendre et dépasser leurs peurs pour gagner en fluidité, en confiance, en liberté ?


Après les principes de transmission et le temps qui passe, notre rapport à l'espace, au territoire et à la peur constituent la suite de notre réflexion…


Aller vers l'inconnu, la peur comme alarme de sa propriété intérieure, de son espace, de son territoire…


Le cyclo-nomade fonctionne un peu comme les premiers Hommes. Les déplacements sont rythmés par la recherche de l’eau, de nourriture et le fait de trouver un lieu sécurisé pour passer la nuit.

Après un temps de recherche nous installons le bivouac sur les bords de l'eau. Une auberge, située à côté, nous autorise à passer la nuit ici. L'espace semble sécurisé. Tous les quatre nous convoquons nos intuitions. Le lieu fait l'unanimité ….

Vers 2h, des bruits sourds me réveillent. Thomas et les enfants dorment. Après quelques semaines j'ai appris à catégoriser les sons de la nuit. Les animaux, la végétation et le vent, l’activité humaines, les moteurs, les alarmes…Le temps semble arrêté car je suis à l’affût d'un nouveau bruit et en même temps très long car il est impossible de s’endormir .

Je réveille Thom, la peur est transmise.

Ces bruits que nous ne parvenons pas à identifier provoquent immédiatement une peur. Augmentation du rythme cardiaque, tous nos sens deviennent opérationnels, notre corps, notre esprit sont en mode survie… 

En réalité, à ce moment-là, une mémoire très ancienne a fonctionné. Notre cerveau reptilien et notre cerveau limbique ont déclenché des mécanismes neurophysiologiques et psychologiques. Cette émotion, la peur, est en fait un système d’alarme perfectionné. Depuis la nuit des temps, indispensable à notre survie, elle nous informe des dangers, éveille notre attention pour que nous trouvions rapidement la réponse appropriée à une menace. La peur assure notre survie. 

Comme un homme à l’âge de pierre, Thom sort de la tente pour visualiser la menace afin de protéger les membres du clan… « C'est bon Pat les vélos sont toujours là » Dehors, rien, le calme, c’est la réalité, elle contraste avec les cinq dernières minutes ou notre esprit et notre imagination avaient créé une bonne dizaine de menaces potentielles… Rassurés, nous retrouvons le sommeil…


À l’état primitif, la peur permettait aux hommes de rester en vie. La peur est l’alarme, lorsque qu'une menace entre dans notre espace, dans notre territoire. Avant que les premiers hommes ne commencent à s’entretuer, les grosses bêtes agressives étaient le danger principal.

Quelques milliers d’années plus tard, l'homme a appris à maîtriser la nature. Aujourd'hui la probabilité de se faire manger par des animaux sauvages est assez faible. Et pourtant nous avons gardé en nous cette alarme primitive qui assure notre protection.

Au fil du temps, avec la sédentarisation, les Hommes ont commencé à créer les premiers villages, puis les premières cités. Les premières Transmissions entre humains se sont mises en place. Les échanges, les tensions, les rapports se sont intensifiés. Les menaces se sont peu à peu complexifiées. 


Appréhender les peurs projetées, gagner en tranquillité…


Après 32h de bateau, nous arrivons sur Patras. La première image grecque n’est pas celle des cartes postales. Des jeunes Syriens par vagues successives tentent d'escalader les barrières de sécurité du port. Un militaire en moto, muni d'une alarme dans les mains fait fuir les migrants à coups de décibels. Nous avançons avec les vélos, les enfants observent la scène, Mila n'est pas rassurée. «Papa, C'est qui tous ces gens, ce sont des pauvres ? »

Plus Loin, sur les toitures d'un terrain vague qui dominent le port, une vingtaine de migrants pour la plus part des hommes, observent la scène. Assis, les bras entourant leurs genoux le regard vers l’Ouest, ils projettent probablement un avenir. Les bateaux Grimaldi comme moyen de transport pour un avenir meilleur ? D'un côté une famille milliardaire sur un rocher, de l'autre des familles sans rien sur une toiture rouillée… Le fossé est abyssal.

« - De quoi tu as peur Mila ?

- Bein qu'ils viennent nous attaquer et nous prendre nos affaires. »

L'alarme fonctionne bien. Mila se sent attaquée dans son espace. Néanmoins, ici la peur fonctionne en projection. Mila se crée dans son esprit, dans son intériorité, des images mentales d’un scénario catastrophe qui fait peur.

Les réfugiés à 100 ou 200 mètres de nous, ne montrent pas de signes d'agressivité. Le soir, nous prenons le temps avec les enfants d'expliquer le conflit syrien. Ces hommes et ces femmes sont des victimes et non une menace…


Thom et Mila sur le tandem, Thao sur le KTM. Nous voilà débarqués en Grèce. Graisse la chaine, sors du port. Porte tes bagages, trouve la bonne direction. Direction la mer, sortir de la ville. Ville portuaire coupée par l'autoroute. Autoroute peu engageante en vélos. Vélos un peu tremblants pour repartir. Repartir dans les flux de voitures. Voitures, motos, migrants et chiens errants. Errants sur le port cherchant notre route, migrants en déroute, en transit. Transis de peur, partir, aller vers l'inconnu, survivre, vivre, voyager…

Quelques kilomètres plus loin, nous roulons dans les quartiers périphériques de Patras afin d’éviter les grands axes. La pollution, l'état délabré de certaines maisons, ne constituent pas non plus l’image idyllique. Thao semble contrarié sur son vélo…

« - Ça va Thao ?

- C’est moche, c'est pauvre, tout est dégueulasse, ça me dégoûte de la Grèce ».

Le dégoût ou l’aversion c'est la peur de vivre, de rencontrer les choses désagréables de façon durable.

« - On retrouve les mêmes espaces chez nous Thao. Les périphéries des grandes villes peuvent être comme ça…

- Oui mais chez nous on y va pas…

- Avançons et ne restons pas là... » 

Voyager c'est traverser des espaces inconnus et c’est admettre que ces territoires convoquent nos peurs.


Les émotions qui nous perturbent sont fondées sur la peur : la peur de l’inconnu, d’avoir faim ou soif, chaud ou froid, de perdre ses proches ou ses amis, de perdre sa position sociale ou sa sécurité matérielle, la peur de décevoir, de déplaire, la peur de ne pas réussir, la peur de ne pas être parfait, ou de n’être pas assez fort, la peur de ne pas avoir assez de temps… sans oublier la peur archaïque de la maladie, de la vieillesse et de la mort. 


Selon la tradition bouddhiste :

Lorsque que l'on entretien une relation avec le désir, nous avons peur d’être séparé de ce qui est agréable. Nous pouvons nous attacher aussi bien à des personnes, des objets ou des idées. Dès que nous projetons de les perdre, d'abandonner, ou d’être abandonné, la peur joue son rôle de mise en sécurité. 

Comme la vécu Thao, lorsque l’on ressent du dégoût, nous avons peur de rencontrer ce qui est désagréable de façon permanente.

Lorsque nous ressentons de la jalousie, nous avons peur d’être dépassé par les autres et de ne pas pouvoir atteindre nos objectifs. 

Lorsque nous sommes touchés dans notre orgueil ou notre ego, c’est la peur d’être critiqué ou de ne pas être reconnu par les autres. Nous ne voulons pas déplaire, nous avons peur d’être jugé.

On pourrait développer de la même façon l'ensemble des sentiments de la nature humaine. On retiendra que, dans toutes relations, toutes communications, verbales et non verbales, toutes transmissions, nous sommes ce que nous pensons et nous sommes ce que nous ressentons.


La préparation de notre voyage fut pendant plusieurs mois l’écoute d'une multitude de peurs projetées :

Vous allez dormir où ?

Vous allez manger comment ?

Et les enfants ça va aller ?

Les vélos si vous vous les faites voler ?

Si vous êtes malades ?

Mais les enfants comment vont-ils faire sans l'école ?

Mais si vos locataires ne paient pas comment vous allez faire ?

Vous êtes vaccinés ?

Quand il va pleuvoir vous ferez comment ?

Faites attention de ne pas vous faire enlever…

Faites attention aux moustiques, c'est l'animal qui fait le plus de victimes dans le monde…

Faites attention aux voitures…

Ah ! Vous ne me faites pas du tout rêver ! Mais vous allez vous supporter tout le temps ensemble ? Et pour la retraite vous n’allez pas cotiser !?


Toutes les alertes furent évidemment bienveillantes et toutes censées. Certaines menaces projetées furent partagées et d’autres moins. Ce que nous avons compris, c’est que de façon générale les peurs projetées semblaient plus appartenir aux émetteurs qu'aux menaces relatives au fait de voyager ou au fait de partir.

Les peurs se transmettent très facilement, le jeu des relations consiste à ne pas prendre les peurs qui ne sont pas nécessairement les nôtres.

Ci-dessus, elles sont verbalisées, elles sont plus faciles à appréhender. Mais ce qui semble le plus complexe ce sont les peurs projetées au sein des communications non verbales. Selon les dernières études, 75 % de la communication entre humains seraient non verbales ; ce qui laisse passer potentiellement un flux important d’émotions et notamment les peurs…


Certaines techniques commerciales, certains partis politiques, certaines publicités, certains principes inconscients de domination dans la relation éducative savent très bien jouer sur les peurs pour arriver à leurs objectifs. 


La peur comme limitation d’activité, plus j'ai peur moins je fais…


Nous avançons sur une route de campagne. Nous allons de villages en villages en suivant des champs d’oliviers. Par endroit, la Grèce compte plus de chiens que d'habitants. Des chiens errants qui se constituent en groupe de 4 ou 5 pour être plus forts. Cela fonctionne assez bien. Les gens (les camping-caristes) disent :

« Oh mais non, ils sont gentils… »

Le rapport que le cycliste entretient avec les chiens change quelque peu… Alors que nous discutons tranquillement tous les 4 sur nos selles, quatre chiens sortent du champ, sur notre droite, légèrement derrière. Rapidement, on constate qu'ils ne sont pas attachés et qu'il n'y a pas de grillage. La menace est réelle. Tout le monde est en mode survie… Réaction archaïque : la fuite, rythme cardiaque en hausse, chacun dans sa bulle, appuyer fort sur les pédales, objectif : semer 4 chiens à nos trousses…

Par chance, nous étions sur un petit plat légèrement descendant… Nos 25km/h sur 400 mètres ont eu raison de nos 4 compagnons plus communément appelés « les meilleurs amis de l’homme… »

Les chiens ne sont pas tout le temps nos meilleurs amis. Mon expérience m'a plus appris à m'en méfier qu'à leur faire des câlins. Agé d'une douzaine d’année, je me souviens être allé chercher le doudou de ma petite sœur, resté sur la plage arrière de la 405 break familiale, en révision au garage Herbert. C'était la pause du midi, les employés étaient partis déjeuner. En passant par la porte de derrière, je me suis retrouvé nez à nez avec les deux bergers allemands. Mauvais sprinter, c'est pourtant ce choix archaïque qui fut privilégié : la fuite en courant…

Ce mini traumatisme, agit comme une alarme. La peur se transmet, J'ai développé une cartographie des chiens détachés du bocage vendéen. Lorsque j' effectue des sorties en vélo ou en courant je sais où passer, et surtout, où ne pas aller…

Pour compléter la peur des chiens chez Thom, de mon côté, c'est la pollution, les déchets au sol, les déchargent à ciel ouvert, les odeurs de plastiques qui brûlent qui constituent un certain dégoût….

En Grèce, les chiens errants qui se déplacent en bande conjugués à la pollution constituent pour nous une limitation d'activité. On évite le bivouac en pleine nature. Celles et ceux qui n’ont pas peur des chiens et qui supportent les déchets peuvent aisément s'installer au bord de l'eau ou dans les montagnes grecques, à l'ombre sous un olivier…


La peur des chiens, des serpents, des rats, des araignées, des oiseaux, la peur la saleté, de la maladie, de la transmission de microbes sont communément admises et comprises par tous. La menace a un visage et elle vient de l'extérieur. On en parlerait plus facilement… 

A l’inverse les peurs qui touchent à l'ego, à notre estime, n'ont pas de visage, pas de forme. Elles sont dans notre espace intérieur. Nous nous battons contre un ennemi intérieur, invisible, tapi en nous-mêmes. De plus, le combat se mène dans l’ombre : cet ennemi, en dehors de nous, qui le voit ? Cette peur, qui la ressent ? Et il faut l'avouer, on en parle moins facilement…


Extérieur / Intérieur ?

Une question d'espace qui fonde nos peurs axées sur deux grandes familles de craintes :

-    Le danger est à l'extérieur : le monde est dangereux, et nous avons peur de ce qui peut s’y passer. Nous limitons notre activité lorsque les peurs sont trop importantes.

-    Le danger est à l'intérieur : nous ne nous sentons pas fiable et nous avons peur de nos propres réactions. Nous pensons que nous ne sommes pas capable de faire face, et que nous ne pouvons pas nous faire confiance. Nous ne pouvons vivre que par la fuite ou l’évitement.


… La peur n'est pas toujours bonne conseillère en transmission….


Pointe ouest du Péloponnèse, le site est spectaculaire, un camping tout sympa sur la plage, une eau transparente… On décide de proposer aux enfants de se poser plusieurs jours afin d'allier plage et instruction. Les enfants adhèrent à l’idée sans hésiter, les vélos au repos, tous à l’eau.

Le lendemain matin, on se retrouve tous les quatre, sur les tables du bar du camping, cahiers, crayons et tablettes prêts à débuter la transmission des savoirs. Nous constatons rapidement que la disponibilité n'est pas au rendez vous…

Les vagues en fond sonore constituent la frustration…

Les grains de sable sont dans la transmission…

D'un côté la mer turquoise, de l'autre des fractions…

D'un côté le sable fin, de l'autre des nombres relatifs…

Nos enfants, partagés par diverses envies, découvrent la relativité. Ce matin nous ne parvenons pas à relativiser. D'abord patients et compréhensifs, le ton finit par monter : les mots pas tous mesurés, les peurs de chacun projetées, la colère pour ne pas tout accepter…

Pat et Thom, Thao et Mila finirent tous les quatre contrariés…

L’après midi, après que chacun ait pu retrouver son calme, nous sommes revenus sur la séance ratée du matin. Après avoir expliqué les obligations d'instruction, la discussion s'est centrée sur les peurs de chacun… 

La peur de l'abandon, de la séparation, de l’échec revenaient de façon assez récurrentes chez les enfants. 

La peur de ne pas être à la hauteur, de mettre nos enfants en difficulté, que les efforts du voyage soient beaucoup plus importants que les gains, constituaient des craintes intérieures pour nous adultes.

La discussion fut sincère et apaisante car elle s’est réinstallée autour d'une compréhension mutuelle de nos peurs. Ces dernières se sont peu à peu dissipées…

Au final, parler de ses propres peurs (même pour les adultes) ne rend pas plus faible, au contraire la liberté créée donne ce sentiment de force partagée.


L'apprentissage est lui-même un voyage vers l’inconnu, vers des espaces inexplorés. L'aventure est certes intérieure mais les menaces et les peurs, par ses mécanismes de projections, sont bien plus tenaces et complexes au sein de notre intériorité qu'à l'extérieur...

Alain Sotto, psychopédagogue, écrit que « Le fondement prioritaire pour le développement affectif et intellectuel de l’enfant est la possibilité qui lui est offerte de se créer un espace mental le plus vaste possible, un espace sécurisant, où le passé, le présent et le futur ne posent pas problème et ne l’empêchent pas d’avancer. Un espace qui lui laisse le loisir de mémoriser, de réfléchir, d’imaginer… »

Mais comment créer espace mental sécurisant ?

La verbalisation des peurs et les causes des peurs constitue une première étape. Ce n’est pas simple, et comme tout voyage, cela demande un peu de courage. L’acceptation de la peur puis sa compréhension permettent la diminution des menaces.

L’aspect affectif peut être déterminant dans le désengagement des enfants ou adolescent. Les signes que le jeune donne à voir peuvent également donner des indications : découragement, rejet, agitation, agressivité, absentéisme, mauvaise estime de soi, faible valeur accordée aux matières scolaires, perte de motivation… sont les signes les plus courants observés chez les enfants. Dans notre profession, ces indicateurs nous invitent à l’hypothèse que les difficultés rencontrées par les enfants ou adolescents sont la conséquence d’un rapport au savoir perturbé. Les conséquences d'une ou plusieurs peurs non verbalisées et non surmontées : peur de l'échec, peur de décevoir, peur de manquer de temps, peur de ne pas être parfait, peur de ne pas être assez fort… toutes ces peurs sont des freins, des obstacles, des résistances à tout apprentissage, à toute transmission. 


C’est par l’observation et le questionnement avec les jeunes que l’adulte peut interpréter ces signes, les prendre en charge, les identifier pour distinguer ceux qui relèvent du savoir, de ceux qui relèvent de leurs préoccupations personnelles. Un dialogue peut ainsi se nouer, une démarche bienveillante peut s’inscrire comme accompagnement dans la construction du savoir, basé sur l’écoute, l’échange et la confiance. Nous posons ici cette démarche comme postulat de départ à toute transmission, en mesurant la grande complexité que tout cela relève…


A Daniel Pennac dans « Chagrin d'école » de conclure en faisant réponse à Alain Sotto : 

« Nos "mauvais élèves" ne viennent jamais seuls à l'école. C'est un oignon qui entre dans la classe: quelques couches de chagrin, de peur, d'inquiétude, de rancoeur, de colère, d'envies inassouvies, de renoncement furieux, accumulées sur fond de passé honteux, de présent menaçant, de futur condamné. (...) Difficile d'expliquer cela, mais un seul regard suffit souvent, une parole bienveillante, un mot d'adulte confiant, clair et stable, pour dissoudre ces chagrins, alléger ces esprits, les installer dans un présent rigoureusement indicatif ».


Nous évoquions la pratique de la méditation, dans l'article précédent, comme remède pour se réapproprier du temps et de la sérénité.

C’est, en partie, faux.

Aujourd'hui, avec la mode de la pleine conscience, vivre le moment présent, la littérature Zen nous vend de la sérénité à coup de respiration. Respirez et vous découvrirez le plaisir immense de manger une orange que vous aurez minutieusement préparée en toute conscience… Les petits plaisirs de la vie comme remède aux peurs archaïques… ça reste à prouver…

En réalité, le fait de centrer son attention sur sa respiration, juste quelques minutes, en essayant de ne pas suivre nos pensées, nos projections, nos images mentales qui arrivent en flux continu nous fait prendre conscience de cette agitation perpétuelle qui règne dans notre esprit. La prise de conscience de l'agitation est presque plus importante que la recherche du calme et de la détente. Cette attention nous apprend juste à prendre conscience que nous avons la possibilité, le choix, de suivre ou ne pas suivre nos projections mentales, nos pensées. Ainsi, on est libre de suivre ou non une menace, une crainte. 

Dans le processus d'apprentissage, la capacité qu'a un enfant d’accéder à ses images mentales, à maitriser son flux, semblent être la clé de la réussite. 

Or, on observe, de plus en plus d’enfants ou d’adolescents dans l'incapacité d’accéder à leur propres images mentales. L’espace mental, le territoire intérieur, n'est pas sécurisé, avancer est une menace. Le vertige qui le fige peut arriver à n'importe quel moment. L'agitation intérieure est trop importante.

La peur qu'on le veuille ou non est la réponse appropriée pour notre cerveau reptilien. Pour assurer sa survie psycho-affective, l'enfant se bloque, résiste, n'avance plus. La transmission est à l’arrêt.


Libérer la peur pour libérer la transmission…et L’Art dans tout ça...


Kalamata, l'ambiance est étrange. Nous sommes seuls, un chemin en terre sans issue le long de la mer. Mer confondue au ciel , on n'y devine même plus l'horizon , tout est blanc . On arrive de manière surprenante sur le parking d'une ancienne boite de nuit transformée en camping. Les alentours sont lugubres, des chiens qui aboient pour nous accueillir, toits en tôle rouillée, encore ces fumées qui provoquent ces odeurs de plastiques brûlés. La nuit, je ne parviens pas à trouver le sommeil. Thom et les enfants dorment déjà depuis longtemps. Il est 1h30, j’écris pour mettre à distance. Notre toit. Ce toit de toile. Toile imperméable à la pluie et perméable à tous les bruits. Bruits si intenses dans ce silence. Si lents sont les sons pour les imaginer. Imaginaire intensifié quand la vue n'y est pas. Pas réel mais tellement présent. Présence rêvée et inquiétante. Un qui est tant endormi n'y songe pas. Passer outre ces bruits pour se reposer. Repos et détente compliqués dans cette atmosphère. Atmosphère étrange que cette ville portuaire. Port, aboiements, chiens errants ou chiens de garde. Gardiens des lieux, ils aboient sans cesse. C'est le paradoxe étrange de cette nuit. Nuit pourtant nécessaire au repos.


Au réveil, la météo est pluvieuse. Je rejoins les peurs de Pat. Les lieux sont peu engageants et notre énergie en transit me contrarie. La peur de ne pas y arriver commence à me contaminer. Cela fait trois jours où les peurs projetées sont devenues très actives. Bloqués à Kalamata par des dénivelés trop importants (35kms d’ascension pour rejoindre Sparte à 1300m d'altitude), il faut trouver une solution pour passer les montagnes en version motorisée. L’absence de train en Grèce nous oblige à opter pour le bus ou un véhicule de location. Avec tout notre matériel, pas si simple…

John, le responsable du camping souhaite nous aider, il téléphone à la compagnie de bus qui lui répond que les vélos ne sont pas acceptés en soute. Ma peur de ne pas y arriver s'intensifie. 

Le lendemain, nous prenons notre courage à deux mains, rendez vous à la gare routière pour une négociation…


Lorsqu’on parle de peur, on sait qu’on va parler de courage, l’une des vertus les plus universellement admirées, en tous lieux et en tous temps…

Est-ce qu’avoir peur, c’est manquer de courage ? Ou est ce l’inverse ?

Est-ce parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas ou est ce parce que nous n’osons pas que les choses sont difficiles ?


Pendre un billet pour le voyage intérieur, aller à la rencontre de ses peurs, à l’aventure de ses émotions, demande du courage autant que prendre un bateau et de traverser les mers.

La lutte contre les peurs obéit assez bien aux principes de la philosophie stoïcienne et de sa célèbre prière :

« Donne-moi le courage de changer ce que je peux changer, la force de supporter ce que je ne peux pas changer, et l’intelligence de faire la différence entre les deux. »

La phrase du dimanche soir de mamie Jeanne, en haut de l’escalier, après l'omelette et stade 2 :

« Allez, ne perdez pas courage », résonne autrement avec un peu de distance…  

Afin de garder cet encouragement hebdomadaire, on pourrait proposer une autre formulation :

 « Allez, ayons la force de vivre nos peurs autrement… »


Les philosophes de l’Antiquité travaillaient déjà dans cette quête de libération du quotidien. Leur démarche intellectuelle n'avait qu’une seule visée : voir des humains qui progressent, où le quotidien devient terrain d’exercices, pour qui la vie est ce lieu où l’on apprend et où l’on s’enrichit. Une vie qui cesse d’être cette succession de précautions, de renoncements, de fuites…

Avec une prise de conscience de cette complexité, tout peut changer : il est possible de signer une paix avec ses peurs. Il est possible de vivre en bonne intelligence avec elles, de les écouter, de les comprendre et de ne plus forcément leur obéir…

Musée d'Olympie, nous marchons la tête levée en observant les statues. Le cours d’histoire de l’art peut débuter. Pat nous explique la place tout à fait intéressante d’Apollon sur la façade du temple de Zeus. Il est au centre, au sommet de la pyramide, contrôlant de chaque côté le Centaure et un Lapithe. L'image est forte : Le Dieu des Arts et de la Beauté maîtrisant la force brutale animale. L'art, la beauté, la poésie, la musique, le théâtre, la sensibilité comme alternative aux démons archaïques : la peur, la colère, la violence... 

Sur le fronton du temple de Delphes consacré à Apollon est inscrit cette phrase illustre :

« Connais toi toi-même ». 

En -450, Socrate la réutilisera pour fonder les premières bases des sciences humaines. « La connaissance de soi est la science première. Renonce à chercher hors de toi, à apprendre par des moyens extérieurs ce que tu es réellement et ce qu’il te convient de faire. Reviens à toi pour découvrir en toi ce qu'il y a de constant et qui appartient à la nature humaine(…)dès lors l'enseignant n'est pas un transmetteur, c’est un faiseur de liens...»


Nous reprenons la route vers le théâtre d'Epidaure, sortir des coulisses, faire confiance au texte, reprendre la petite mise en selle de la vie quotidienne avec ses rires, ses larmes, ses peurs, ses colères…

… Envieux de vérifier si les mots posés permettent d'accompagner les maux rencontrés pour gagner en liberté…

… Car, Montesquieu avait sans doute vu juste :

« La liberté, c’est ce bien qui fait jouir des autres biens… »


L'Art ou libre. Octobre 2017.