La douce transmission… 


Vos retours commentés suite au texte relatif à la Transmission n'ont pas manqué de selle... Allongés, assis, assaisonnés ou sucrés, ils furent très appréciés. Merci.

Toujours la tête dans le guidon, avec un petit vélo dans la tête, certains y verront un délire déjanté, poursuivons ensemble la réflexion…

Certains mettent en avant la question du sens souvent un obstacle, d'autres y soulignent les questions existentielles, en lien avec nos sensibilités, la Transmission semblerait transmissible. 

Le mot « existence » avec sa provenance latine « ex sistere » signifierait littéralement « se sortir de soi ». 

Le mot « existence » en anglais nous invite à exister dans l'enceinte : « exist / ence », ou sortir de l'enceinte : « exit / ence ». 

À cela s'ajoute une riche polysémie du mot « sens ».

Il s'agirait donc de transmettre « Un sens » pour permettre à chacun de pouvoir « se sortir de soi » afin d'être au plus près des choses et des autres dans le « ici » et le « maintenant ». 

Génial l'étymologie…


Comme le dirait Amir « You, You, J'ai cherché. Un sens à mon existence. J'y ai laissé mon innocence...» 


Comme le disait Camus dans sa recherche du temps perdu « Le sens de la vie est la plus pressante des questions…»


Comme le dit Tolkien dans le seigneurs des anneaux « Tout ce que nous devons décider, c'est que faire du temps qui nous est imparti…»


Toute cette affaire de Transmission semblerait donc une affaire de sens inscrit dans un temps...


Transmettre, Oui mais, dans quelle direction et à quelle vitesse ?


Nous quittons Chiasso à la recherche d’un lieu pour dormir . La circulation est dense. Nous avançons sur une route départementale. Le nord de l'Italie est peu propice aux déplacements lents. Les voitures passent près, les camions déplacent des masses d’air chaudes. Les orages sont proches. La luminosité diminue. Les discussions s’arrêtent, nous sommes tous concentrés sur notre monture. L’écart peut avoir des conséquences. Nous sommes engagés sur la route avec sur notre droite un mur de protection, le demi tour est impossible, plus le choix, il faut avancer. Plus loin, nous croisons la voie ferrée sur notre gauche, le grincement assourdissant du train vient accentuer le stress déjà présent. La vitesse nous entoure, la rapidité des déplacements autour de nous, nous étourdit. Nous sommes agressés par le flux.

Un dégagement, on peut s'arrêter.

On respire.

Lentement, on reprend nos esprits.



La rapidité, la vitesse peuvent elles nous contaminer voire nous agresser ? 

Quelles sont les différentes relations que nous entretenons avec le temps, les temps ?

Peut-on se débrancher des flux de communications qui nous entourent ?

Doit-on se débrancher des flux pour une meilleure transmission ?


Lever la tête du guidon...


Si vous nous lisez en surveillant la cuisson de votre riz tout en pensant à la réunion de demain, avec la radio allumée, en finalisant un projet lecture CP-6ème sachez que vous n’êtes pas le ou la seul(e)… 

Nous vivons un temps où le multitâche est devenu le braquet classique, où l’on pédale en permanence après le temps, à tel point que l’on ne pense même plus à ralentir, à freiner.

Changer le braquet pour changer de vitesse n'est pas si simple.

Le modèle de la monture de vie qui nous est vendue par notre société de consommation est-il si simple à appréhender ?

La loi du court terme semble s'imposer. Nous sommes formatés à l'obsolescence programmée, au zapping, on s'informe en continu, mais les moments où l’on approfondit vraiment les sujets sont rares. Nos enfants semblent tout aussi happés par cette accélération. Par cette frénésie d'attentions multiples qui les place en déficit d'attention…

Une des dernières recherche du laboratoire de neurosciences cognitives à l’Inserm, nous confirme que « l’homme n’est pas multitâche. Notre cerveau ne sait traiter efficacement que deux tâches en même temps. »


La Transmission n'aime pas être dans la guidon. Elle tourne rond et prend la bonne direction lorsqu'elle reçoit des commandes précises et peu nombreuses.


Nous reprenons la route. L'orage approche. Le camping est devenu la seule solution. La concentration urbaine exclut la nuit en bivouac. Quelques kilomètres plus loin, le camping international de Côme nous accueille sous la pluie. Retour aux besoins primaires : monter la tente, manger, boire et dormir. Le lendemain, nous constatons que l’eurovelo passe sur des portions de nationales et rejoint Milan par des grands axes. Dilemme : Notre lente transmission contre les grands axes de communication. 

On prend le train direction Pavia à la recherche de « La ciclovia del Po ».

Le train a cet avantage de faire deux choses en même temps « Écrire et se Déplacer... » Efficace…


La volonté de partir en famille pendant un an, en vélo, s'inscrit sans nul doute dans un besoin de se réapproprier le temps, du temps, notre temps. 

Après quelques semaines, nous constatons que ce n'est pas si simple.

« Mila tu trouves que le temps passe vite ? »

« Ça dépend quand c'est bien, que je vais au cheval où quand je vais jouer avec les copines ça passe vite. Mais quand je m'ennuie le temps ne passe pas vite. »

« Et toi Thao ? » 

« Ouais pareil, et si on va sur les écrans c’est qu'on ne voit pas le temps passer.»


Changer le braquet…


Quelle est l’origine de cette fuite, et quelles en sont les conséquences pour nos enfants? Ce temps qui semble s'accélérer ou stagner est-il lié au caractère subjectif de notre rapport au temps ? Si le temps accélère véritablement, doit-on passer outre et doit-on adopter une position nous indiquant comment faire bon usage du temps ?

Mais alors quel serait le bon usage ? 

Sans doute celui qui s’accorde le mieux avec la condition humaine et les principes naturels de Transmission : on aurait donc le droit de changer de braquet et de lever la tête du guidon.

Klein explique dans un entretien au sein du documentaire « tout s'accélère » que «Pendant cinq mille ans, seule notre plus noble conquête, le cheval, nous permettait d’aller plus vite que nous-mêmes. Encore fallait-il dix jours pour traverser la France en diligence. Les tout premiers trains, au début du XIXe siècle, ne faisaient guère mieux. Mais ils se sont rapidement lancés dans la course aux records. En 1825, l’ingénieur anglais Stephenson faisait culminer sa locomotive à quarante kilomètres à l’heure, dans une descente. La course aux records était lancée…»


Depuis 150 ans, la vitesse de transfert des informations a été multipliée par dix millions et la vitesse des moyens de transport par soixante, de la calèche à l’avion à réaction. L’accélération technique semble illimitée. La pression sur notre temps est de plus en plus forte. Et les nouvelles technologies de l’information et de la communication, censées nous faciliter la vie, ont bien au contraire fait accélérer la moulinette et placé petits et grands la tête dans le guidon des écrans…


La Transmission n'aime pas les fortes pressions (2/3 bar pas plus). Sous hautes pressions le stress développe du cortisol qui limite la Transmission neurologique. C'est une sorte de rouille pour la chaîne. 

La Transmission positionnée toujours sur le même braquet finit pas s’abîmer. Privilégier chaque jour différentes vitesses sans oublier l’arrêt complet des engrenages. Poser la béquille, laisser reposer et ne rien faire.


Rame rameur ramer on avance à rien dans…


Après quelques jours de repos. Nous reprenons la route sur la via Francigena. La voie bien indiquée nous invite à la lenteur du pèlerin. Le chemin suit le parcours d’un prêtre anglais parti à la conquête de Rome avec son bâton. Le paysage peut être répétitif. Le temps peut sembler long…ou sujet à la réflexion, à la rêverie …

« Pff, Papa, on arrive quand… »

« Je ne sais pas Mila, je ne sais pas quelle heure il est… »

« Pff, Maman, elle est chiante cette route, on s'ennuie. »

« C'est pas faux, mais ce n'est pas grave de s'ennuyer.»



Klein, dans ce même entretien, démontre que la révolution industrielle et toutes les évolutions techniques et technologiques ont certes soulagé les corps mais ont surtout surchargé les esprits… 

En 150 ans, l’accélération de la vitesse des modes de déplacements et l'accélération de la rapidité de l'information représentent une étincelle à l’échelle de l'humanité. 

Dans quelles mesures nos sociétés dites développées ont pris conscience de cette accélération dans le champ de la Transmission ? 

Comment l’Ecole, conceptualisée durant la révolution industrielle, peut elle répondre à cette accélération, à cette fuite de temps, en remettant au centre la question du sens ? 


Les savoirs mondiaux sont colossaux et les connaissances nouvellement produites par les différentes sciences sont exponentielles. 

Pour que les sciences poursuivent leurs découvertes, l’Ecole s’engagerait donc à transmettre ce qui est déjà découvert …

L'Ecole qui doit continuer à faire avancer sa société est face à un problème de taille : transmettre une quantité de savoirs toujours en expansion avec des journées qui totalisent toujours 24h… et des semaines d’école qui comptent tout aussi 24h…

Voila comment le temps est devenu notre problème...

Quel est le choix des systèmes éducatifs dans d'autres pays ?

Quels choix éducatifs pour quelle société ?

Quelle société pour quels choix éducatifs ?


Il y a 2500 ans, Aristophane expliquait que la Transmission avait plus à gagner en allumant des étincelles qu’ à remplir des vases. Aujourd'hui, avec un accès illimité aux savoirs mondiaux la quantité d'eau pour nos petits vases paraît bien démesurée. 


Le temps est universel car il est le même pour tous les hommes. Klein toujours le même rappelle que « Les 24 heures sont la donnée la plus égalitaire de l’espèce humaine. Cela n’a pas changé depuis la création de l’espèce et ne changera jamais, et tout le reste, qui tourne autour, n’est

qu’une question d’aménagement, de stratégie personnelle et quelquefois de technique. » 


La Transmission apprécie que le cadre donne un sens, un projet pour savoir où l'on va. Une Transmission sans projet donnerait des enfants sans avenir.

Le cadre non pressé par le temps doit faire des choix. Une Transmission lente et sûre vers une destination commune respectant la condition humaine et son environnement mieux que du transmissif éclair et multidirectionnel vers une destination inconnue.


Pédale douce …


Nous sommes à 20 kms au sud de Mantoue. Cela fait maintenant une dizaine d'heures qu'il pleut sans discontinuer. Dans la tente nous regardons le temps passer. 

Une éclaircie, pliage du camp, on avance.

L'euro8 emprunte maintenant une zone non bitumée. La monture s'enfonce, les roues patinent. En moulinette, le compteur affiche 7 km/h. La digue de terre file à l'horizon. Le temps est instable, les averses guettent et ce vent d'Est pleine face commencent à agir sur le caractère très subjectif qui me lie au temps. 

« Fait chier ce chemin, on avance à rien et on est en train de laisser une énergie folle. »

«Ça, c'est du langage familier, papa.»

« Pédale. » 

« Ça, c'est une phrase injonctive. »

Au loin, un point rouge flotte sur la digue grasse. Le KTM et Thao revivent les sensations du samedi matin ; décidément, le temps n'est pas le même pour tous.

Ironie du sort, je rêve à cet instant de vitesse, de rendement, je donnerai tout pour un asphalte tout lisse.


Si le temps est le même pour tous, en fonction de la nature des situations, il est vécu différemment.

Si le temps est le même pour tous, il n’a pas la même valeur pour chacun d'entre nous.

Chacun utilise son temps, son propre temps.

Chacun est libre de ne rien faire de son temps, du moins en apparence.

Et si le temps « perdu » était plutôt du temps de « gagné » ? 

Ralentir, c’est se concentrer sur l’essentiel. 

La méditation, la pleine conscience refont leurs apparitions dans les rayons des librairies. Les écoles intègrent de plus en plus ces pratiques. Les dernières études en neurosciences montrent les bienfaits de la méditation pour les performances de notre cerveau et de notre corps.

Il semblerait que le véritable secret pour se sortir du speed, c’est celui que nous enseignent les sages depuis des millénaires : le contrôle et la conscience de notre respiration….

La bonne nouvelle, c’est qu’aller moins vite permet systématiquement d’aller mieux. 

Edgar Morin met en avant les limites : « On a perdu beaucoup d’art de vivre dans nos vies chronométrées».

Pierre Rabi, nous rappelle, avec sagesse et simplicité, que « l’art du peu n’est pas peu de chose ».

Vite, ralentissons, la pédale douce plutôt que la tête dans le guidon. Il s'agit là, d'un enjeu de santé publique.


Le sens de rotation de la Transmission n'a de sens que si elle permet l'acquisition de connaissances qui permettraient de se sortir de soi, des connaissances pour éprouver le sens de son existence…

La Transmission repose sur deux chambres à air. Gonflées comme il faut, elles assurent une bonne stabilité. Pour éviter la crevaison, de façon régulière laissez entrer et sortir l'air en ne pensant à rien d'autre. Cet entretien loin d’être déjanté, est gratuit, simple et à portée de tous…



On pourrait s'amuser longtemps avec les parallèles…


De l'impermanence à l'incertitude…


Un petit traité de la Transmission pourrait s'avérer très mécanique, jusqu'à devenir aussi simple qu'un manuel de montage…

Et pourtant, il n'en est rien. Tout cela est bien-sûr d'une immense complexité. Car le temps nous soumet à la réalité : rien sur cette terre n'est permanent et tout peut être incertain…


Nous arrivons sur l'Adriatique, la météo est capricieuse, nous trouvons refuge sous une tente montée sur fond européen. Un village romain de 300 ans av-JC découvert au début des années 2000 a permis d’être sorti de terre grâce aux subventions de l'Europe.

On nous autorise à mettre notre igloo sous la tente qui servait aux archéologues durant les fouilles. Le Top : le tout confort, au sec, à côté des vestiges, un rêve de gosse à transmettre. Pendant deux jours, curiosité, apprentissage, découvertes, repos remplissent les batteries. 

Le vendredi soir, j'entreprends une petite vérification des vélos. La transmission du Scott de Pat fait du bruit. Le VTT est monté sur les sangles, je nettoie, vérifie. En resserrant un peu trop fort la commande manuelle de transmission du plateau avant, le ressort Shimano situé à l'intérieur du boîtier se casse, emmenant avec lui tout le mécanisme. 

Je constate rapidement le pire. Impossible de réparer, deux pièces plastiques sont coupées, il faut changer toute la commande de transmission...

Première pensée pour Julien : l'élève a encore besoin d'apprendre… L'éternel rapport que l'on entretien avec l'erreur, avec l'échec. Sensations désagréables. 

Deuxième pensée : les conséquences : Pat doit rouler avec un seul plateau et nous sommes loin des magasins de cycles. Bouquet d’émotions : en colère contre moi, triste de décevoir, la contrariété de me, de nous gâcher une aussi belle journée. 


La redescente émotionnelle prend du temps. La pelleté de jurons associée à une profonde envie de tout balancer surprend le trio d’observateurs peu habitué à me voir dans de tels excès émotionnels.

La force du groupe est alors essentielle. 

« Papa c'est pas grave c'est que du matériel.»

« Tom c'est ça l'impermanence…il ne faut pas trop s'attacher…je vais rouler avec un seul plateau. »

Mila finit par une réplique de film que personne ne connaissait « pleure, pète, cours mais arrête de bouder... »

On rigole, prêts à repartir vers de nouvelles incertitudes...



« La vie c'est comme la bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre. »

Albert Einstein 


« La vie c'est comme deux chambres à air, il faut penser à respirer de temps en temps pour éviter de se crever. »

Larouelibre


« La vie c'est comme …………………… »

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Le 17 septembre 

Larouelibre.